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crazyjack
12 décembre 2006

CHARLIE hebdo : l'édito du 6/12/2006

Parce que ça va mieux en le lisant,parce que certains ne l'auraient pas lu,parce qu'il faut l'avoir lu, je vous propose l'intégrale de l'éditorial de Philippe Val que vous pourrez retrouver dans le Charlie Hebdo n° 755 du 6/12/2006.

Et pour reprendre la formule désormais célèbre de son grand frère Hara Kiri mensuel : " si vous n'avez pas assez d'argent pour l'acheter, volez-le."

Du bon usage de la fatwa

À l'approche du procès de Charlie pour la publication des caricatures danoises de Mahomet, qui aura lieu les 7 et 8 février au tribunal de Paris, parmi toutes les questions que je me pose, il y en a une que je voudrais soumettre aux musulmans de bonne volonté, aux intellectuels et plus particulièrement aux responsables religieux. Je précise, avant de la poser, qu'elle n'est nullement une provocation, mais une question sincère, qu'il n'entre pas de moquerie dans l'emploi de l'expression " responsables religieux " et que j'entends le mot responsable dans son sens fort. Bien qu'étranger à toute confession, j'ai nourri ma curiosité historique, littéraire et philosophique d'un certain nombre d'écrits de toutes sortes de religions, et je ne doute pas une seconde que toutes contiennent de riches pensées théoriques, ne pouvant émaner que d'esprits de haute volée. Même si je ne partage pas ces visions du monde, je peux en admirer l'architecture intellectuelle, et reconnaître leur influence sur le cours des civilisations.Si la culture chrétienne m'est la plus proche, c'est pour des raisons de lieu de naissance et d'éducation. Mais je l'interroge avec la même ténacité, avec la même conviction de la nécessité de la controverse, que j'interroge les autres pensées. Bien que rétif à toute vision théologique du monde, je suis toujours prêt à reconnaître tel ou tel avantage d'une doctrine ou d'une autre, si elle contribue philosophiquement à un accroissement de la liberté. La religion n'étant pas pour moi une nécessité, je n'en nourris pour autant aucun jugement - admiratif ou méprisant - à l'égard de celui qui choisit d'y croire. Pour tout dire, je pense que ça le regarde, tout comme ma conception de la vie ne concerne que moi. Là où mon indifférence fait place à un désir de controverse ou de polémique, c'est-à-dire d'opposition, c'est lorsque la religion fait intrusion dans la vie publique, déborde de ses prérogatives et tente &imposer ses pratiques à qui les refuse.J'en arrive à ma question. Imaginons qu'un catholique extrémiste prenne le maquis et décide de soumettre le monde à sa conception d'une société purement catholique. Pour réaliser son projet, il commet des crimes de masse et des actes terroristes de grande ampleur. On peut imaginer  - les lefebvristes ayant été, en 1988, exclus par Rome pour bien moins que ça, et quatre évêques ralliés avaient alors été excommuniés - que les autorités de l'Église s'empresseraient de les chasser de la communauté des croyants. L'excommunication est un acte dramatique, qui a généralement pour effet de couper l'exclu de toutes les ressources que pourraient lui apporter solidairement et les fidèles et l'appareil de l'Église. Si, au nom de la foi catholique, un individu avait lancé des Boeing sur les tours de New York, massacré des populations civiles madrilènes et londoniennes, l'église catholique l'aurait solennellement chassé de son sein.Alors, puisque l'islam est une religion de paix et de tolérance, comment se fait-il qu'il n'y ait jamais eu la moindre fatwa crédible (1) contre Ben Laden, et les activistes d'Al-Qaida ? Une excommunication, ou son équivalent en islam, aurait isolé le mouvement terroriste, l'aurait coupé de toute complicité, de toute solidarité... Ne condamner que l'action, comme on l'a vu çà et là, est plus qu'insuffisant. C'est regretter la forme et encourager le fond. Et qu'on ne vienne pas dire qu'en islam on ne juge pas l'autre parce que chacun est responsable de sa foi devant Dieu. Les innombrables et cruelles condamnations des tribunaux islamiques à travers le monde prouvent chaque jour le contraire.Evidemment, on sait bien que l'islam n'a pas organisé son clergé comme le christianisme. Mais il existe pourtant des dignitaires suffisamment influents pour décréter des fatwas, puisque ça existe. Or rien de tel ne s'est jamais produit à l'encontre de Ben Laden. Pas une seule condamnation à la relégation hors de l'islam. Et pourtant, en commettant ses crimes, Ben Laden a fait un tort considérable à tous les musulmans qui vivent paisiblement, occupés à gagner leur vie, à élever leurs enfants, à jouir comme ils peuvent d'une existence souvent difficile. L'absence de condamnation officielle et solennelle, émanant d'autorités religieuses influentes, a agi comme un secret assentiment.Si, alors, on considère qu'une partie du monde est en guerre contre l'autre, et que les crimes de Ben Laden sont des actes politiques, cela signifie, puisqu'il les commet au nom de l'islam que l'islam n'est pas une religion, mais une politique. Or une politique n'est pas sacrée. Elle est, en droit, parfaitement critiquable en tant que politique par n'importe qui. Si Ben Laden se dissimule derrière la religion musulmane pour agir politiquement, afin de pouvoir appeler blasphème toute critique de la politique qu'il mène, cela signifie que l'islam n'est qu'un instrument qu'il manipule au détriment des musulmans lorsqu'ils affirment leur aspiration à la paix, au dialogue, à la fraternité et à la tolérance.Si aucun dignitaire de l'islam n'a le pouvoir d'exclure Ben Laden de la communauté des musulmans alors qu'il assassine des innocents - ce qui est contraire à l'islam - et qu'il le fait, circonstance aggravante, au nom d'Allah, cela démontre la faiblesse de l'islam en tant que religion. Il révèle ainsi son incapacité de faire respecter ses valeurs humanistes. Cela laisse supposer que l'islam traverse une crise grave, non pas parce qu'il manque de fidèles, mais parce que les fidèles n'ont aucun pouvoir pour faire valoir ses valeurs. Une fois de plus, si l'islam est une Constitution politique, alors toute critique est légitime. L'absence de fatwa contre Ben Laden tend à prouver que la part purement religieuse de l'islam - c'est-à-dire sa fonction de guide religieux et spirituel - est totalement marginale, et quelle ne sert plus désormais que de signe de reconnaissance à un mouvement politique. Par conséquent, le musulman se trouve entraîné à avoir en commun quelque chose d'essentiel avec Ben Laden, la foi, ce qui est sans doute très pénible à accepter pour la majorité des croyants. Cela rend l'image de tous les musulmans tributaire de n'importe quel délire de n'importe quel assassin, du moment qu'il est musulman.Si l'islam veut devenir une religion acceptée par ceux qui ne la pratiquent pas, il suffit quelle affirme être une religion faisant peser sur ses fidèles le risque de l'excommunication s'ils ne respectent pas les lois imposant le respect de la vie et la tolérance. Si elle est incapable de se désolidariser solennellement des criminels qui l'instrumentalisent politiquement, elle se condamne à vivre dans le soupçon quelle est complice des crimes de masse commis en son nom.Les musulmans n'auraient-ils pas un avantage à s'organiser de telle façon que leurs représentants éminents aient la possibilité de condamner sans ambiguïté à l'exclusion ceux qui trahissent l'idéal de concorde dont on dit que l'islam est porteur?Comment se fait-il qu'El-Béchir, l'actuel dictateur du Soudan, qui, avec ses milices islamistes, massacre la population noire du Darfour, ne fait l'objet, lui non plus, d'aucune condamnation religieuse ?Revenons aux caricatures danoises et au procès qui va avoir lieu suite à leur publication par Charlie. Si de l'Iran à l'Indonésie, du Pakistan et de l'Afghanistan à l'Algérie, de l'Égypte à l'Arabie Saoudite, les plus hautes autorités morales de l'islam s'étaient mises d'accord solidairement et solennellement pour exclure Ben Laden de la communauté musulmane après les crimes de masse qu'il a commis, et si cette condamnation avait été audible sans aucune équivoque par tous les musulmans du monde, je ne pense pas que le dessin montrant Mahomet avec une bombe dans le turban aurait jamais été publié, ni même dessiné. Et même s'il l'avait été, il aurait été, en droit, acceptable, s'agissant d'une critique de la religion, sinon pertinente, légitime en démocratie. L'impertinence, à ce jour, n'est pas un délit prévu par la loi pénale. Mais, en l'absence de fatwa, c'est-à-dire de condamnation religieuse indiscutable prononcée contre Ben Laden, l'islam s'est retrouvé malgré lui solidaire, aux yeux du monde, d'une action politico-terroriste. C'est tout à fait regrettable, mais cela autorise n'importe quel commentateur ou dessinateur à mettre en valeur, pour la déplorer, la collusion entre une violence extrême faite à l'humanité et une religion...Si nous perdons notre procès, nous serons dans une situation totalement invraisemblable. Nous serons reconnus coupables et punis par nos propres tribunaux pour avoir publié des dessins ! En face, il y aura Ben Laden, qui a commandité la mort atroce de milliers d'innocents et que n'inquiète nulle autorité de la religion dont il se réclame pour commettre ses crimes ! L'absence de jugement et de condamnation par ses pairs lui confère un héroïsme et une aura que tous, musulmans ou non, nous payons très cher.

(1) A la suite des attentats de Madrid, des musulmans espagnols avaient lancé une fatwa contre Ben Laden, mais cela n'a eu aucun retentissement.

Philippe VAL, Charlie hebdo 755 du 6/12/2006

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